« Si tu ne peux pas entrer aux Beaux-Arts, peins sur les murs et sois le meilleur ! »
C’est au chaleureux Pause Café, en plein cœur du 11e arrondissement de Paris, que j’ai retrouvé le présentateur chapeauté de 52 ans et expert en culture hip-hop Juan Massenya un après-midi de décembre. Comme ça, pour discuter, après l’avoir interpelé sur Instagram pour lui dire ô combien j’adorais son émission Vinyle sur France Ô. Elle me rappelait l’esprit Radio Droit de Cité, la radio associative tant écoutée pendant mes années lycée, diffusée à Mantes-la-Jolie au cœur du Val Fourré (78). J’avais l’intention de l’interviewer sur son voyage du héros, en douze étapes et douze questions, pour comprendre comment il était passé de Chanteloup-les-Vignes à France Télévisions. Et puis la spontanéité de l’échange a pris le dessus. J’ai lâché ma trame pour mieux me laisser porter par son flow. Pour l’écouter me raconter son voyage initiatique et les rencontres déterminantes qui l’ont mené de la cité aux bancs de Saint-Denis Université, puis aux commandes d’émissions de télé avec comme leit motiv la diversité… Rencontre.
Mel : À quoi ressemblait ton quotidien quand tu étais ado ?
Juan Massenya : « Une errance dans le monde de la nuit. À 13 ans, l’école ne m’intéressait pas et le projet que l’on me proposait, c’était les usines au loin. A la maison heureusement, c’était joyeux, la musique et la culture étaient reines, on dansait tous les jours sur de la salsa, de la pop ou de la musique haïtienne… Rapidement, au début des années 80, alors que les discothèques se démocratisent à Paris et en proche banlieue, je passe mes week-ends à Paris. Je me souviens des « après-midi du Bataclan » avec DJ Chabin par exemple, ou du concert mémorable de Catherine Ringer au Globo, lieu culte du hip-hop à Paris. Avec Joey Starr ou Vincent Cassel, on a le même âge et on fréquente les mêmes endroits… Les rencontres et les lieux amènent le mouvement. J’ai entre 14 et 17 ans et plus le temps passe, plus le décalage est énorme quand je rentre dans ma cité… »
M. : Quelles références gardes-tu de cette époque ?
J.M. : « Nous sommes la génération du skateboard, des patinoires, du bowling, des posters et du walkman ! D’un coup, la société offre une multitude de choix aux jeunes de banlieue, qui deviennent aussi une cible marketing : mode, cinéma, sorties, loisirs… En parallèle, la culture américaine et notamment le rap véhiculent des messages nouveaux, plus engagés, qui semblent nous souffler « politisez-vous, soyez acteurs ». Nos références deviennent Aimé Césaire, Malcom X, Martin Luther King. Ce n’est pas pour rien que le premier morceau hip-hop populaire, celui de Grand Master Flash, s’appelle the Message. La culture hip-hop devient un objet d’observation, et nous avec. »
M. : Comment entres-tu à l’Université ?
J.M. : « Un prof me découvre et me permet d’échapper au destin. On est en 1986, j’ai 18 ans et j’entre à Paris 8 – Saint Denis Université, seule fac qui acceptait les étudiants sans bac. Moi je voulais surtout esquiver l’armée… Je choisis de faire un DEUG Éducation, Culture et Animation. C’est l’époque où je rappe un peu avec MC Solaar et Menelik. D’un coup, on n’est plus juste entre nous, acteurs de la scène hip-hop, on est avec les autres. On ne se regarde plus le nombril, on bascule et on prend du recul pour comprendre ce qui se passe chez nous. Avec le rap, on passe d’une culture émergente à une culture avérée. C’est la première fois que le rock est concurrencé sur le terrain de la jeunesse avec le succès d’NTM… Quant aux médias, ils se mettent à exprimer maladroitement tout ce que l’on tente d’exprimer à travers notre culture hip-hop, c’est à dire : on veut une place digne dans notre France, entendez-nous… »
M. : Pourquoi n’était-ce pas possible de l’exprimer ?
J.M. : « On n’avait tout simplement pas les mots pour expliquer les choses. À la fac, on prend conscience du pouvoir de l’écriture et de la culture en général. J’accepte pour la première fois les ordres et la discipline… C’est très nouveau pour moi. »
M. : Quel a été ton chemin ensuite jusqu’à France Télévision ?
J.M. : « Avant tout, c’est le hip-hop qui m’a emmené au bout du monde ! Je suis allé voir Public Enemy à Londres et j’y suis resté un an. J’y ai appris l’anglais, j’ai rencontré Soul II Soul, j’ai découvert que les Noirs étaient très politisés là-bas, notamment à travers le carnaval de Notting Hill initié par les immigrés noirs issus des Caraïbes. De retour en France, je suis plus motivé que jamais pour participer au mouvement hip-hop à un niveau supérieur. Radio Nova nous ouvre les portes pendant presqu’une décennie, de 1985 à 2005, et on participe en parallèle à l’organisation du concert « Stop the violence » par IZB à l’Elysée Montmartre sous le pseudo Mag3. »
M. : Dans quel univers évolues-tu alors ?
J.M. : « A cette époque, c’est New York tous les soirs ! Grâce à la radio, on enchaîne 2 à 3 soirées par jour… Je me souviens en particulier de la Nuit des Clans en 1994 organisée par Clan Campbell, une soirée itinérante un jour ici, un jour là. A ce moment-là, notre culture prend clairement le leadership. Puis ce sont les rencontres qui m’ont menées dans le monde de l’audiovisuel. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore : il fallait être sur place, au bon endroit et au bon moment, pour faire des rencontres et s’inviter aux soirées ».
M. : Avec du recul, quel regard portes-tu sur ton parcours ?
J.M. : « Pour ma part, c’est bel et bien le hip-hop qui m’a fait grandir. Si je n’avais pas été journaliste hip-hop, j’aurais été keuf hip-hop, prof hip-hop, maire hip-hop, prêtre hip-hop ! Le hip-hop, c’est la magie du mélange entre toutes les cultures. C’est pour cela que dans mes émissions (Vinyle, Teum-Teum, le Balajuan… NDLR), j’ai à cœur de valoriser des personnes choisies pour les initiatives et les projets qu’elles mènent en faveur de la diversité et de la mixité. Je n’irai jamais sur le terrain de la confrontation car selon moi, ce sont des combats sans intérêt, nous devons faire nos trucs et ne pas se laisser distraire par nos détracteurs. »
M. : Quel message souhaites-tu partager aujourd’hui ?
J.M. : « Un message d’audace ! Si tu ne peux pas intégrer les Beaux-Arts, peins les murs et sois le meilleur. Le désordre est constructif et tu n’es jamais à l’abri d’un succès. Aujourd’hui en revanche, je suis déçu que ma génération ne fasse pas partie du renouvellement des élites. En France, on est un peu comme chez Ikéa : l’État s’est bien trop largement immiscé dans la production de la culture et a mis tout le monde dans le sens de la marche… »
En savoir plus sur Juan Massenya :
- Juan Massenya, le portraitiste des quartiers : https://www.lemonde.fr/vous/article/2009/10/24/juan_1258174_3238.html
- Son compte Instagram : https://www.instagram.com/juan_massenya/
- Sa page Facebook : https://www.facebook.com/MassenyaJuan/
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