Savez-vous pourquoi on appelle la génération née après 1984 les Millenials ? Ce sont ceux qui ont vécu leur enfance à cheval sur deux millénaires. Cela ne me concerne pas car j’ai passé l’an 2000 autour de 20 ans, mais il se dirait dans les couloirs des entreprises que cette génération appelée aussi Génération Y ou Digital Natives – serait difficile à manager, narcissique, paresseuse, pas concentrée et qu’elle s’autoriserait tout. Elle voudrait un job qui a du sens et aussi des poufs et de la nourriture gratuite. Sympa le tableau. Mais ne vous détrompez pas : le conférencier britannique Simon Sinek va vite démonter ces clichés dans son intervention ci-dessous. Résumé et analyse.

J’aime particulièrement cette intervention drôle et lumineuse sur cette génération et son rapport au travail. Brillant orateur cash et bienveillant, Simon Sinek, théoricien du management qui s’est fait connaître avec sa conférence TED sur le « Golden circle » ou « Comment les grands leaders inspirent l’action » en 2009, basée sur son best seller du même nom, intervient sur différents sujets en lien avec l’organisation des entreprises. Ici, il relève avec succès le défi de capter l’attention d’un auditoire directement concerné : il leur montre en quoi ils sont malheureusement victimes d’un environnement qui ne leur est pas favorable, et comment ils vont devoir travailler dur pour réapprendre la patience, les vertus de la coopération et retrouver l’estime d’eux-mêmes.

Selon Simon Sinek, 4 raisons principales expliqueraient les clichés listés plus haut :

  1. Une éducation défaillante
  2. L’addiction à la technologie
  3. L’impatience et la gratification instantanée
  4. L’environnement

1_ L’éducation « défaillante » reçue par la génération des Millenials

Simon Sinek part de l’hypothèse que cette génération est victime d’une stratégie parentale « défaillante »  : « on leur a répété qu’ils étaient spéciaux et qu’ils pourraient avoir tout ce qu’ils voudraient dans la vie par la force de leur simple volonté. Certains ont eu des félicitations en classe non pas parce qu’elles étaient méritées mais parce qu’ils sont allés se plaindre et que les profs ne voulaient pas de problèmes avec les parents. D’autres ont eu de bonnes notes pour leurs efforts, alors qu’ils étaient derniers. Tout ceci dévalue les bonnes appréciations aux yeux de ceux qui travaillent dur et crée un malaise chez ceux qui travaillent moins et savent qu’ils ne le méritent pas. »

Puis, ils entrent dans la vie active et en un instant, tout s’écroule : « ils réalisent qu’ils ne sont pas spéciaux, que leur mère ne peut leur décrocher une promotion, qu’on n’obtient rien en étant dernier et que l’on ne peut avoir quelque chose juste parce qu’on le veut. » En parallèle, Facebook et Instagram entrent dans la danse : « nous sommes tous devenus des pros dans l’art de montrer aux autres à quel point notre vie est fantastique alors même que nous sommes en dépression. Toute cette génération grandit avec une estime de soi beaucoup plus faible que les autres générations. »

2_ L’addiction à la technologie

Le théoricien revient sur les effets de la dopamine, substance chimique sécrétée par le corps quand on boit de l’alcool, quand on fume, quand on joue… et quand on reçoit des notifications sur les réseaux sociaux ou des SMS. « C’est pour cela qu’on envoie des messages à ses amis quand on ne va pas bien : une réponse et hop, ça va mieux. C’est pour cela aussi que l’on recharge des dizaines de fois ses réseaux sociaux pour vérifier le nombre de nouveaux likes sur ses photos. Le plus grand traumatisme des jeunes ados aujourd’hui : être « unfriendé » (retiré d’une liste d’amis) ».

Il note que le téléphone et les réseaux sociaux sont extrêmement addictifs mais qu’il n’y a aucune restriction d’âge pour leur utilisation, contrairement à l’alcool, le cannabis ou le jeu. « Une génération entière a donc un accès illimité à la dopamine, substance addictive et abrutissante, alors qu’ils traversent la période hyper stressante de l’adolescence », déplore-t-il, cette période de la vie étant celle où l’on cherche la première fois l’approbation de personnes extérieures à ses parents. C’est le moment où l’on crée des liens avec ses amis, où l’on vit en tribu, et c’est très stressant. Certains découvrent par hasard les effets de désinhibition de l’alcool, ce qui leur permet de gérer ce stress de l’adolescence. « À l’âge adulte, dans des situations professionnelles stressantes par exemple, cela peut rester ancré et amener à se tourner vers la bouteille plutôt que vers quelqu’un ».

Même chose avec les médias sociaux : « les jeunes eux-mêmes admettent avoir du mal à nouer de vrais liens avec les autres. Ils disent ne plus compter vraiment sur leurs amis. Certes, ils passent de bons moments avec eux, mais ils savent que beaucoup peuvent leur faire faux bond si quelque chose de mieux se présente ailleurs ». Ainsi, de la même façon que pour l’alcool : lorsqu’une situation stressante se présente, il est plus facile de se tourner vers son téléphone ou un réseau social que vers une personne.

Simon Sinek insiste pourtant sur le fait qu’il n’y a rien de mal en soi avec les réseaux sociaux. C’est l’excès qui est dangereux. Au restaurant, dans une réunion… L’envoi de messages à des personnes absentes signifie aux présents qu’ils ne sont pas importants. « Comme toute addiction, cela enferme, coupe du monde, coûte de l’argent et finit par rendre la vie pire qu’elle ne l’est déjà ».

3_ L’impatience et la gratification instantanée

Acheter sur Amazon, regarder une série sur Netflix, ne plus regarder les horaires pour la prochaine séance d’un film au cinéma… Même Tinder économise d’apprendre à draguer ! « Tout ce que l’on désire aujourd’hui amène à une gratification instantanée »,  souligne Simon Sinek. Tout, sauf deux choses : la satisfaction professionnelle et les relations de confiance. Celles-ci nécessitent du temps, sont parfois incompréhensibles, bordéliques, n’ont ni queue ni tête. Et pourtant, elles se construisent lentement, avec le temps.

« Souvent, j’entends des jeunes fantastiques, brillants, tout jeune diplômés, en place dans leur premier job depuis 8 mois et qui disent : je crois que je vais démissionner, je n’ai aucun impact », déplore le conférencier. Il utilise la métaphore de la montagne pour montrer que, les yeux rivés vers le sommet – l’ »impact », cette notion purement abstraite – ils ne sont pas prêts à accomplir le chemin pour y parvenir.  « Ce qu’ils ont besoin d’apprendre, c’est la patience », insiste-t-il. « L’amour, la joie, la satisfaction professionnelle, la confiance en soi, l’amour de la vie… tout cela prend du temps et si tu ne demandes aucune aide, tu risques de tomber de la montagne ». Au mieux, se projette-t-il, cette génération grandira sans trouver la joie. Ils trouveront que tout est ok, potable.

4_ L’environnement professionnel

« Mettons à présent ces jeunes gens dans une entreprise qui se moque bien de leur bien-être et leur épanouissement, qui s’intéresse plus à l’année comptable en cours qu’à leur futur : cela ne les aide pas vraiment à construire une estime de soi, à coopérer, à trouver l’équilibre… Ils se blâment eux-mêmes, c’est pire », déplore-t-il. Selon Simon Sinek, c’est à l’entreprise de prendre ses responsabilités et de proposer un bon management. Il les prévient aussi : « Ok ça craint mais c’est comme ça pour votre génération, vous allez devoir travailler encore plus dur pour réapprendre certaines compétences sociales et prendre confiance en vous ». Et pour finir, il exhorte les entreprises à bannir les smartphones des réunions pour recréer le temps des échanges simples, des vraies relations, de la confiance et de l’esprit de coopération. Mais aussi de la créativité : « c’est quand on n’a pas la tentation de l’addiction que l’on s’autorise à regarder autour de soi et que les idées germent. On observe et on se dit : « je pourrais bien faire ça ! » Ça s’appelle l’innovation. »

Ce que j’en pense

Je trouve cette démonstration très juste et ayant moi-même embauché et collaboré dans différentes entreprises avec de jeunes gens brillants et pleins d’énergie, je crois que nous avons réussi à construire des relation de confiance et à créer de belles dynamiques coopératives ensemble. Mais bizarrement, j’ai aussi eu le sentiment en parallèle que l’entreprise elle-même encourageait toutes les générations à coller aux usages présupposés et fantasmés des Millenials : hyperconnexion, téléphones et ordinateurs portables en réunion, rapidité, agilité, résilience, capacité d’adaptation aux réorganisations constantes… Tout cela pour coller aux « nouveaux usages » de la digitalisation, mettant souvent de côté les générations précédentes dépassées par cette vitesse vertigineuse, ou les Millenials eux-même, agacés par ces clichés et la perte de sens de leurs missions.

Aujourd’hui, en tant qu’indépendante, je m’aperçois que je m’entoure encore naturellement de cette génération pour imaginer et proposer de nouveaux projets à mes clients. Ce que j’observe, c’est que la collaboration est riche et sincère à condition de la penser ensemble en amont. D’être à l’écoute de nos idées respectives, de nos jugements et analyses, et de nous laisser à tous une belle marge de liberté. C’est ainsi que je travaille. Cela prend du temps mais tout devient vite fluide, facile, solidaire, engagé, énergique et concentré.

Et puis en effet, s’il y a des poufs et de la bonne nourriture à grignoter pendant qu’on bosse, c’est encore mieux.

Merci Bastien Laure de m’avoir fait découvrir Simon Sinek 

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