L’histoire : Une mission au Pakistan en auto-suffisance à 5000 mètres d’altitude, à l’assaut de montagnes jamais touchées par l’homme : Zabardast, c’est le carnet de voyage intime de cette incroyable aventure humaine, avec comme objectif une des plus belles montagnes à skier du globe, s’élevant à5880m et planquée au fin fond du Karakoram. Ovationné au Festival Montagne en Scène et programmé partout à travers le monde, ce film réalisé par Jérôme Tanon est tourné à la manière d’un reportage de guerre. Sans détours. Pendant cinq semaines, les freeriders Léo Taillefer, Thomas Delfino, Zak Mills, Hélias Millerioux et Yannick Graziani se sont enfoncés de plus en plus profond à l’intérieur du Pakistan avec un engagement total, tirant des luges remplies de vivres, de tentes et de panneaux solaires à travers de gigantesques glaciers. Loin, très loin de la maison.
Film et expédition produits par Picture Organic Clothing et Almo Film // Crédits photo @Jérôme Tanon
Les conditions de réalisation de ce film sont un véritable « Voyage de héros », au sens donné par le spécialiste de la mythologie Joseph Campbell – celui d’un personnage de fiction passant d’un monde ordinaire à un monde extraordinaire, en quête d’un élixir à partager avec le reste du monde. Jérôme Tanon a joué le jeu de l’interview « 12 étapes, 12 questions ». Rencontre.
Étape #1 : le monde ordinaire
« J’étais cloué chez moi à faire de la kiné. Je m’étais cassé le genoux un an avant et je n’avais pas fait de snowboard ni de skate depuis : la déprime ». Sur son compte Instagram à cette période, on peut en effet deviner que le moral n’est pas franchement au top. Des singes tristes côtoient des corbeaux en ombres chinoises, en alternance avec des scènes de captation de snowboard. Tel était le quotidien du photographe Jérôme Tanon, Annécien de 32 ans, au moment où il reçoit l’appel de son ami de 15 ans, le snowboardeur Thomas Delfino, à l’origine de l’expédition.
Étape #2 : l’appel de l’aventure
Un appel, donc, au vrai sens du terme. Alors que Jérôme s’ennuie ferme, le snowboardeur professionnel Thomas Delfino, membre de la « Picture Family », décroche son téléphone pour proposer à son ami de longue date d’être le photographe et réalisateur de l’expédition. Thomas a toujours rêvé de rider le Biacherahi, face verticale dans l’Himalaya, image d’un livre gravée dans sa mémoire d’enfant. « Il a sans doute pensé que je pouvais être un bon partenaire de galère », suppose Jérôme. Peut-être aussi qu’à travers le premier film autoproduit de Jérôme « The Eternal Beauty of Snowboarding« , déjà visionné plus de 1 300 000 fois sur Youtube, son ami sait qu’il pourra donner le ton : drôle, passionné, impertinent. Libre.
Étape #3 : le refus et le doute
C’est à la fois la situation politique au Pakistan et le manque d’entraînement physique qui freine Jérôme dans un premier temps. « Je ne suis pas un alpiniste et les montagnes les plus mythiques se situent dans cette région, c’est extrêmement impressionnant », raconte Jérôme, qui doute à ce moment-là d’être à la hauteur. Quant aux risques liés à l’instabilité du pays : « Je me suis renseigné et me suis aperçu que ce n’était pas plus dangereux qu’ailleurs ». Alors c’est parti.
Étape #4 : la rencontre (ou les retrouvailles) avec le Mentor
« Tout cela a réveillé en moi de vieux mentors, ces alpinistes comme Walter Bonatti, qui ont bercé toute ma jeunesse. J’allais marcher sur les mêmes sentiers, passer de la fiction à la réalité… » Nul besoin de rencontres et en os, parfois, pour nous pousser à dépasser nos peurs : les souvenirs ou la lecture peuvent s’avérer de puissants déclencheurs de changement.
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L’alpiniste Walter Bonatti en 1965
Étape #5 : le passage du premier seuil
7 avril 2018 : l’équipe monte dans un minibus de Paris jusqu’à Londres, puis dans un avion pour Islamabad, à nouveau dans un minibus pour Skardu au Pakistan, où ils préparent le matériel pendant une journée, avant de finir par un jour de jeep destination le point de départ de l’expédition dans les montagnes de l’Himalaya. « On était à la fois très fatigués et excités, c’était aussi le moment où on a tous appris à se connaître : ça parlait alpinisme, peuf, snowboard… », raconte le réalisateur.
Étape #6 : les tests et les épreuves
« On a tous eu des hauts et des bas personnels. Pour ma part, j’avais mal au genou, des crampes dans le mollet, la tourista, le mal des montagnes vers 4500 m d’altitude… je n’arrivais plus à dormir, manger, respirer à pleins poumons », se souvient-il. Après ces 4 jours de transport et un très gros jour d’effort qui le met à terre, sa principale alliée s’avère être… la tempête. Elle les force à rester immobilisés pendant quatre jours et, finalement, à prendre le temps de s’acclimater. Le cinquième jour, c’est grand beau. Nouveau monde, nouveau paysage… La dépression de l’année passée semble être bien loin derrière. « Je n’avais pas que ça à faire ! Et puis la principale raison de ma grosse déprime était la solitude. Là, ce n’était plus le cas, la force du groupe fait qu’on avance et qu’on se sert les coudes ».
Étape #7 : l’approche de la caverne
Ça y’est. Ils y sont, au pied de cette montagne mythique dont Thomas Delfino a tant rêvé petit : le Biacherahi. « Tout le monde est content, c’est grand beau, la météo est OK », s’enthousiasme Jérôme. Il part se positionner sur un sommet offrant un bon point de vue avec son caméraman. « J’ai laissé mes copains, accroché au talky walky, sans toujours de bonnes nouvelles à l’autre bout : retard, angoisses, difficultés à monter… Je n’avais rien d’autre à faire que de les attendre. » Sa plus grande crainte : que ses amis tombent en montant.. Et puis si la montagne passait à l’ombre, c’en était terminé pour les images. « Je les ai vus apparaître et comme au cinéma, je ne les ai pas quittés des yeux ».
Étapes #8 : l’épreuve suprême
Étape #10 : l’élixir
Au delà des images fabuleuses que Jérôme a pu capter ce jour-là, c’est de son émotion dont il parle avant tout : « le sourire de Léo, la tête de Thomas, Zach lui n’était jamais sorti des US et voilà ce qu’il vivait… Thomas lui avait relevé son plus grand défi : savoir reculer face au danger. Je m’attendais à ce qu’ils n’arrivent pas à skier cette face, le succès était inespéré. Ils étaient tous tellement heureux et moi tellement fier d’eux ». Emotion contagieuse. Fierté de l’exploit et des images captées. Magnifiques, fabuleuses… « Zabardast », en pakistanais !
Étape #10 : le chemin du retour
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Jérôme Tanon dans le train du retour
C’est le moment du film où l’on prend la plus grosse bouffée d’oxygène. On y voit l’équipe sillonner les routes du Pakistan à mobylette, échanger avec les habitants, chanter, jouer, danser… C’est un visage accueillant, chaleureux et joyeux du Pakistan que Jérôme Tanon donne à voir sur le chemin du retour.
Et puis, une fois rentré chez lui, Jérôme entame le montage. Il passe des semaines à plein temps enfermé dans son studio, seul derrière l’ordinateur, mais plus entouré que jamais par les images de ses potes et ces souvenirs encore tout glacés. « J’ai beaucoup aimé la démarche de notre sponsor Picture, qui n’a jamais imposé sa vision. Au début, j’étais un peu fébrile à l’idée de travailler avec une marque qui nous imposerait des contraintes », confie Jérome, « mais ils nous ont fait confiance du début à la fin. Leur apport a été essentiellement financier ». Autodidacte, il apprend, regarde des tutos, teste, se trompe, passe des heures à choisir et assembler les images, construire son scénario… « Rien n’était écrit à l’avance, tout le travail s’est fait au retour ». Après l’ascension des sommets, plongée dans la caverne…
Étape #11 : la renaissance
…Jusqu’à ce que le film, une fois terminé, tourne sur les écrans des organisateurs de festivals, qui le sélectionnent à tour de bras. Zabardast remporte le Grand prix du jury du Winter Film Festival, est ovationné à Montagne en Scène et programmé dans de nombreuses salles à travers le monde.
Étape #12 : le partage
« Ce que l’on transmet aujourd’hui, c’est ce film : les paysages, le danger, la solitude, la violence, l’engagement… tout ça, on a du mal à le raconter, alors le film témoigne pour nous. » Enfin, à la question « dans quelle mesure cette aventure a changé ton regard ? », il répond : « Je ne me mesure absolument pas à un alpiniste mais j’ai réalisé qu’il n’était nul besoin d’être un surhomme pour faire une expédition : c’est une question de courage et de volonté ».
Et de beaucoup beaucoup de talent, aussi. Enfin ça, c’est mon avis. Merci Jérôme pour ce récit, et félicitations à toute l’équipe de nous avoir fait rêver ainsi.
Retrouvez Jérôme Tanon sur :
Son site Internet https://jerometanon.com/
Instagram : https://www.instagram.com/jerometanon/