Du premier loft des années 2000 aux années 2040, Delphine de Vigan nous offre avec « Les enfants sont rois » un roman futuriste aux allures de thriller dans l’univers poudré et suréquipé d’une famille de youtubeurs drivée par une mère fan de téléréalité. L’occasion de creuser le sujet du droit à l’image des enfants sur les plateformes en ligne.

Le pitch : Mélanie Claux, jeune femme ayant frôlé en vain à la vingtaine l’opportunité de participer à une émission de téléréalité, est devenue maman et a transformé son univers familial en studio de production vidéo. Ses deux enfants de 5 et 7 ans, Kim et Sam, sont les stars de la chaîne Youtube familiale numéro 1 du moment; Happy Récré. Leur vie est rythmée par la captation en live et en vidéo de leur quotidien, mis en musique au montage par un père soumis et transparent. Jusqu’au jour où la petite Kim disparaît.

Que dit la loi du 19 octobre 2020 ?

Ce roman qui m’a beaucoup plu, me donne surtout la furieuse envie d’en savoir plus sur cette fameuse loi du 19 octobre 2020 sur l’image des enfants influenceurs évoquée au fil des pages. Précisément, il s’agit d’une loi sur « l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne », entrée en vigueur le 19 avril 2021.

Cette loi, qui concernait déjà les enfants dans le monde du spectacle, du mannequinat ou de la publicité, prend désormais en compte les enfants influenceurs présents sur les réseaux sociaux. Par « influenceurs », cette loi entend « les enfants dont l’activité relève d’une relation de travail » ou « dont l’image est utilisée en vue d’une diffusion sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l’enfant en est le sujet principal » et lorsque « les durées ou revenus perçus excèdent un seuil fixé en Conseil d’Etat » (source : Village de la Justice).

Concrètement, les représentants légaux doivent déclarer à « l’autorité administrative » l’existence et les conditions de cette activité, qu’elle soit considérée comme un travail (donc à but lucratif, régi par un contrat) ou non (sans but lucratif mais qui peut générer des revenus de façon indirecte, type des revenus publicitaires via Youtube).

Recommandations aux représentants légaux et obligations des plateformes

Bizarrement, en cas d’obtention de l’autorisation, les représentants légaux reçoivent des recommandations sur des comportements à adopter avec les enfants (en plus d’obligations purement financières). Les plateformes en ligne ont elles des obligations.

Les recommandations aux représentants légaux :

L’autorité administrative informe sur :

  • les conséquences, sur la vie privée de l’enfant, de la diffusion de son image sur une plateforme de partage de vidéos.
  • les obligations financières qui leur incombent, en application de l’article L7124-25 ou du III de l’article 3 de la loi du 29 octobre 2020 ;
  • les horaires, la durée, l’hygiène et la sécurité des conditions de réalisation des vidéos ;
  • les risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion ;
  • les dispositions visant à permettre une fréquentation scolaire normale.

La loi instaure aussi un droit à l’effacement des données à caractère personnel ne requérant pas le consentement des titulaires de l’autorité parentale.

Les obligations financières vis à vis des enfants : 

Que l’enfant travaille officiellement ou non, la rémunération se divise en deux parts : une pour les représentants légaux et une pour l’enfant, « versée à la Caisse des dépôts et consignations et gérée par cette caisse jusqu’à la majorité de l’enfant ou son émancipation. Des prélèvements peuvent être autorisés en cas d’urgence et à titre exceptionnel ».

Les obligations des plateformes (en résumé) :

Les plateformes s’engagent à :

  • Respecter ce droit à l’oubli et retirer les contenus diffusés dès lors qu’un enfant influenceur en fait la demande
  • Effacer le contenu diffusé en l’absence d’autorisation préalable
  • Mettre « en œuvre les moyens nécessaires à l’identification, par les personnes responsables de leur diffusion, des contenus audiovisuels faisant figurer un enfant de moins de seize ans ».
  • Mettre à disposition les « informations nécessaires à la prévention des risques » à travers des chartes d’utilisation claires

Les sanctions :

En cas de non-respect des obligations susmentionnées, le législateur a prévu une amende de 75 000 euros. Cette peine s’apparente à ce qui était jusqu’alors prévu par les dispositions du Code du travail, notamment en cas de méconnaissance des dispositions afférentes à la durée du travail, à la rémunération ou à l’obligation de recueillir une autorisation préalable [22].

Quelle réelle application ?

La loi vient d’être adoptée, on ne peut encore juger de sa bonne application mais on peut légitimement se demander si les plateformes se donneront les moyens de la faire respecter, et si les représentants légaux prendront au sérieux les recommandations données par l’administration… Sans spoiler le bouquin, c’est en tout cas le doute émis par Delphine de Vigan. Peut-être faudra-t-il un peu de temps avant que cette loi soit réellement appliquée. Le temps qu’il faut en tout cas pour que ces enfants deviennent majeurs et libres de s’en emparer…

Sources : 

Crédit photo : Vincent Capman pour paris Match